*Ce guide a été écrit notamment grâce à la lecture du livre [Comprendre et appliquer Sun Tzu: La pensée stratégique chinoise : une sagesse en action](https://amzn.to/3VZkufF).* La stratégie se définit toujours en fonction de la gamme des possibles qu'une situation recèle en elle-même. Il faut être à l'écoute pour amplifier ses capacités et faire naître des ouvertures et des scénarios. Pour les Chinois, deux principes s'imposent : l'**économie** et l'**harmonie**. - La bonne gestion des ressources pour soi et leur ruine éventuelle chez l'autre, s'il est un opposant, constituent un pivot de la relation stratégique. - Pour s'assurer l'invincibilité, le stratège s'attache à mettre en place un tissu de relations légitimes et ritualisées qui se structurent en un ensemble cohérent et réactif. Une fois l'invincibilité acquise du fait de l'excellence de l'administration et d'une harmonie intérieure, les erreurs adverses offrent les opportunités de gains ou de victoires. Un autre aspect important est la philosophie du yin et du yang qui voit le monde comme une transformation permanente. De l'interaction constante de ces deux principes opposés et complémentaires résulte un changement incessant dont il convient de distinguer les prémices. La force de nos actions est décuplée si elles sont couplées aux transformations naturelles. Le stratège idéal est sans volonté, sans dispositions fixes, il est comme l'eau parce que l'eau n'a pas de forme déterminée, elle emprunte celle de ce qui la contient. ## Stratagèmes de l'emprise. ### Cacher dans la lumière. _L'habitude sécurise le secret._ Comment assurer la sécurité d'un secret quand règne la plus grande des prudences ? Paradoxalement, en supprimant tous les signes et les indicateurs d'une dissimulation volontaire. L'habitude veut qu'une anguille se cache sous une roche, ce stratagème met à profit la croyance générale selon laquelle l'absence de roche signifie qu'il n'y a pas d'anguilles. Les gens s'accordent à penser qu'un dessein occulte, un mystère ou une manigance se sécurise dans l'ombre pour ne pas être éventé ou révélé trop tôt. ### L'eau fuit les hauteurs. _Se régler sur les contours des situations._ Il était une fois trois royaumes : Qi et Zhao étaient alliés et Wei le plus puissant. Un jour, Wei lance une attaque contre Zhao, le plus faible. Qi hésite a intervenir. Plutôt que de rencontrer une force armée en plein élan de conquête, Qi délaisse le théâtre principal du conflit et assaille la capitale de Wei qui est désormais sans défense. Wei est contraint de battre en retraite en catastrophe et emprunte le chemin le plus court qui est aussi le plus prévisible ce qui permet à Qi de lui tendre une embuscade. Ce stratagème recommande de ne pas se laisser imposer le jeu et de s'emparer de l'initiative afin de dicter des règles favorables. Tout comme l'eau fuit les hauteurs et remplit les creux, Qi évite la force (plein) de Wei pour frapper sa faiblesse (vide). Cette logique du contre stratégique tourne le dos à celle d'un héroïsme où la force du bon droit est le moteur d'une action aveugle à tout principe d'économie de l'action. Dans une situation bloquée, un changement de cadre peut modifier une donne tactique par une redistribution des cartes. En refusant les termes d'une interaction défavorable, on réserve ses moyens puis en jouant dans un vide qui va attirer le plein adverse dans de mauvaises conditions, on se saisit de l'initiative. ### Le potentiel des autres. _L'inconscience du contexte rend manipulable._ Un grand groupe pharmaceutique met sur le marché un patch favorisant le rééquilibrage hormonal des femmes. Le marché est immense, mais la publicité coûte cher et elle est très réglementée. Le sujet étant intéressant pour les médias, l'entreprise rédige donc un dossier de presse. Les médias s'en emparent et font gratuitement une grosse publicité au nouveau médicament. Lorsque quelque chose est difficile à réaliser ou à atteindre, il faut faire en sorte que d'autres le fassent pour soi. Dès lors qu'un stratège avisé saisit avec intelligence la logique couples fins/moyens propres à d'autres acteurs, il est à même de concevoir une composition stratégique où ces derniers, tout en servant leurs finalités spécifiques, contribuent à réaliser celles propres au stratège. Les moyens d'un ennemi ou d'un compétiteur ne sont pas forcément un obstacle. Les acteurs les plus manipulables sont toujours ceux dont le champs de vision se limite au strict périmètre de leur activité. Dans notre exemple, plus les scientifiques, les journalistes, et les médecins se comportent comme des scientifiques, des journalistes et des médecins, moins ils prennent de distance avec leur action. ### Les vases communicants. _Le stratège attire l'ennemi et ne se fait pas attirer par lui._ Les élections approchent et les candidats commencent à faire monter la pression. Pourtant l'élu sortant ne se manifeste pas. Voulant le faire sortir de sa réserve, les compétiteurs le provoquent en exposant leurs atouts, leurs projets et d'acerbes critiques. Mais lui ne bouge pas. Puis au dernier moment et fort du bénéfice d'une vision globale des argumentaires de chacun, il lance avec calme et détermination ses troupes à l'assaut d'un électorat fatigué par les adversaires alors que les partisans adverses n'ont plus l'énergie de leurs débuts. Ce stratagème se fonde sur une relation de vases communicants entre accumulation et dispersion. Par rapport à une concurrence, il n'est pas toujours nécessaire de choisir un comportement offensif surtout si l'autre se situe au fait de sa concentration et de sa détermination. En termes de Ying et de Yang, l'extrême d'un état augure du début de son contraire. C'est pourquoi il est avantageux de temporiser, d'accumuler des forces, de ne pas les dépenser et d'attendre que la relation devienne favorable. On nomme le point culminant d'une offensive le seuil au-delà duquel les qualités s'inversent, car l'attaquant n'a pas emporté la victoire et où il se trouve dans une grande difficulté étant donné l'étirement de ses lignes de communication et d'approvisionnement. L'activité est toujours suivie de fatigue. ### Le chaos fertile. _La tâche première du général est de se rendre invincible. Les occasions de victoires sont fournies par les erreurs adverses._ Deux jeunes ambitieux sans convictions particulières veulent entrer en politique. Surviennent des élections, le parti bleu aux affaires depuis plus de deux décennies est chassé du pouvoir au profit du parti rouge. Le premier des ambitieux prend immédiatement contact avec le parti rouge et offre ses services au vainqueur. Le second, plus stratège, prend modestement sa carte au parti bleu. Quelques années plus tard, le premier espère encore être désigné pour être candidat à la députation, l'autre est déjà ministre pour le parti bleu. Le jeune militant du parti rouge a joué seul contre une marée de militant alors que celui du parti bleu a été porté par un mouvement de fond. Il s'est placé facilement à la naissance d'une vague quand son prétentieux collègue a voulu chevaucher une déferlante sans y avoir été invité. Pour Sun Tzu, l'invincibilité dépend de soi et les occasions de victoire résultent des erreurs d'autrui. C'est pourquoi il recommande au stratège de s'attacher prioritairement à la solidité de son organisation en la fondant sur un tissu humain de relations légitimes, confiantes et ritualisées pour en faire un tout solidaire et réactif. Une fois un bon fonctionnement relationnel établi, il est possible de jouer sur les vulnérabilités des organisations proches, lointaines ou concurrentes afin d'en tirer avantage. ### La stratégie adore le vide. _Mener grand bruit à l'ouest pour attaquer à l'ouest._ Depuis des mois, une cité résiste avec succès à un siège. Les défenseurs observent les assaillants et adaptent leurs efforts à chacun des assauts. Il faut sortir de cet équilibre figé et pour redonner vie à cette relation, il faut dissocier apparence et réalité : Fixer la force ennemie sur un leurre et concentrer la note sur son lieu de dispersion. Les attaquants engagent de grandioses préparatifs comme s'ils préparaient une grosse offensive sur le rempart est. Au vu des dimensions de la mobilisation, les assiégés s'y préparent activement, leurs efforts ont un point d'application et une direction. Ce qui laisse à l'attaquent plus de chance en cas d'une attaque à l'ouest. Ce sont les défenseurs eux-mêmes qui ont organisé leur vulnérabilité. Nous étions dans une situation de plein contre plein ce qui n'a d'autre issue que l'épuisement mutuel et au mieux, le statu quo. Dans la stratégie chinoise, vaincre aux prix d'importantes destructions importantes n'est pas acceptable, il vaut mieux provoquer du mouvement, des modifications et du flux dans les énergies de sorte à générer des espaces de liberté d'action. ## Stratagèmes du fil du rasoir. ### Créer à partir de rien. _Quand le mirage crée la réalité._ Une ville assiégée n'arrive pas à prévenir ses alliés des problèmes qu'elle rencontre. Tous ses messagers successifs sont capturés et tués. Un beau jour, à midi, le pont-levis se baisse et un petit groupe de cavaliers en sort. Branle-bas de combat chez les assaillants pour contrer la sortie ! Mais les soldats installent quelques cibles sous les remparts, s'exercent au tir et rentrent au bout d'une heure. Jour après jour, la vigilance des assiégeants s'amenuise jusqu'à disparaître totalement tous les jours à midi. C'est alors qu'un cavalier sort à l'heure dite, traverse les lignes démobilisées et transmet l'alerte aux alliés ! Le stratagème peut être modélisé comme suit : - On se méfie et on se garde de ce qui a la réputation, ou qui présente les signes de la menace lorsque cette dernière se manifeste. - L'attention se polarise sur l'apparent et la réaction est conséquente. Mais à la longue, si le signe du danger n'est qu'une illusion, la vigilance se relâche jusqu'à entraîner une absence de réaction. - C'est alors que la situation devient favorable pour que l'illusion de danger sécurise un acte bien réel, qui a tout loisir et avantage pour emporter la décision. Le mirage abrite l'enfantement du réel à travers la relation entre le vrai et le faux, l'existant et le non existant. L'illusion enfante la force. ### Vaincre dans l'ombre. _S'engager dans le visible, l'emporter dans l'invisible._ Les royaumes de la Plaine et de la Montagne sont en conflit depuis de nombreuses années. Lors de leur dernier conflit, la montagne a envahi la plaine, mais a finalement subi une défaite. La Montagne a dû se retirer et à brûler le pont en bois qui aurait permis à la Plaine de d'envahir à son tour la montagne. Depuis cette période, la Montagne ne songe qu'à prendre sa revanche et à envahir à nouveau la Plaine. La plaine, elle, se sent en sécurité tant que le pont de bois est détruit. Un jour, la Montagne, se sentant assez forte, entame au grand jour la réparation du pont. La plaine focalise donc son attention sur l'évolution du pont et y concentre toutes ses forces. Tout en maintenant un rideau de forces de son côté du pont, la montagne transfère durant la nuit l'essentiel de ses troupes par des chemins non accidentés et non gardés et fini par envahir la Plaine. Ce stratagème permet d'aborder la théorie des deux forces : - La force Zheng qui relève de l'orthodoxe et du classique en termes de moyens, de manières de procéder, de moments et de lieux. - La force Ji, au contraire, désigne l'ensemble des procédés, méthodes et moyens non-orthodoxes, hors normes. Zheng et Ji se définissent mutuellement autant par l'opposition que par la complémentarité de leurs traits respectifs. Cette combinatoire, sans limite dans le temps ni dans l'espace, se règle sur les représentations et les attentes de l'autre, ainsi que sur le décryptage que celui-ci fait de l'interaction. Lorsque deux acteurs sont aux prises ou collaborent, il se manifeste une relation d'interdépendance selon laquelle le mouvement de l'un entraîne une réaction de l'autre. **Celui qui s'élève au-dessus de la simple considération et du simple management de ses moyens propres pour raisonner et conduire la relation elle-même, maîtrise les conditions générales de l'interaction**. En agissant sur ses propres dispositions de manière ostensible, la Montagne conduit et modèle les réactions de la Plaine. ### Profiter de l'aveuglement. _Contempler l'incendie sur la berge d'en face._ Un martin-pêcheur introduit son bec dans une huître ouverte qui se referme aussitôt et le coince. Après un long débat, aucun des deux n'accepte de lâcher. Le soleil se couche et les bruits de cette lutte acharnée se sont propagés aux abords du plan d'eau. Un hibou arrive et les saisit alors tous les deux. Lorsque des protagonistes aux prises s'acharnent au point d'en perdre la vision d'ensemble, ils deviennent vulnérables pour des acteurs extérieurs car ce combat à outrance épuise leurs protagonistes. A l'abri et hors d'atteinte, il est avantageux pour un stratège d'observer le jeu des croyances et des dissensions car elles génèrent des marges de liberté et d'action. Si on laisse vivre et croître les dissensions au sein d'une alliance concurrente, la force et l'énergie de l'alliance ne sont plus focalisées sur le maintien de l'unité, sur la coordination et sur l'action extérieure, mais se dépensent en conflit interne. ### Le sourire du tigre. _Quand l'ennemi cherche à attaquer, songez à négocier. Quand il cherche à négocier, songez à attaquer._ Imaginez qu'un accident de voiture, dans lequel vous n'êtes pas responsable, survienne. Vous vous préparez à vous offusquer et la personne se prépare à échafauder des arguments pour ne pas être responsable. Si, au lieu de la réaction prévue, vous faites preuve de gentillesse et de compassion, vous allez alors privé de point d'appui l'autre personne et anéantir sa volonté de résistance. Le sourire incite à la confiance et au relâchement. Ce stratagème combine deux plans : d'une part celui d'une illusion trompeuse qui fait baisser la garde et l'existence d'une détermination cachée bien réelle. Dans le climat calme stratégique de la confiance, l'offensive tactique brève et concentrée emporte la décision car elle a fait disparaître préalablement la carapace de protection. ### Qui sait perdre gagne. _Sacrifier les détails pour réaliser les grands desseins._ Dans toute compétition, il est rare d'espérer être victorieux dans tous les engagements, c'est pourquoi il est souvent avantageux de choisir où et quand perdre localement pour gagner globalement. En engageant sa faiblesse contre une forte contrainte adverse, le stratège neutralise le principal atout adverse. Cela revient à acheter du long terme en payant du court terme. L'absolu des états unis (économique, militaire et politique) a contraint Al-Qaïda à innover et à trouver des scénarios non orthodoxes tant les actions conventionnelles étaient inaccessibles et interdites. Acculée militairement dans le conventionnel et faire cesser l'espoir d'avancer sa cause par la diplomatie et la négociation pousse l'adversaire à imaginer des alternatives insoupçonnables. **Il ne faut pas supprimer toute marge de manœuvre à un adversaire**. ### La chance se construit. _Il faut savoir accepter les variations de situation._ Un étudiant passe un entretien pour un stage. Après quelques minutes, il ne sent toujours pas d'enthousiasme de la part de son interlocuteur. Il se dit alors que s'il continue comme cela, il est sûr que la mécanique trop bien huilée de l'entretien l’amènera à une réponse négative. Il change donc de sujet et demandes de infos sur l'entreprise, infos qui lui servent à savoir quels postes sont disponibles. La capacité créative à imaginer des solutions dans l'instant est d'autant plus essentielle que l'on se trouve dans une situation difficile ou périlleuse. La grande force est le début de la faiblesse et la faiblesse engendre la force. ## Stratagèmes d'attaque. ### La pince des louanges. _Débusquer les intentions cachées avant d’agir._ Un premier ministre ambitieux réussit à mettre sur la touche un vieux monarque au profit d’un prince héritier. Au bout de quelques années, il décide de prendre le pouvoir. Avant de passer à l’action, il souhaite sonder les intentions des membres influents de la cour. Il offre donc un cerf au jeune roi en déclarant que ce cheval est un hommage. Le roi éclate de rire et dit qu’il s’agit d’un cerf. Le premier ministre indique que le roi se trompe et que c’est un superbe cheval très rare. Le premier ministre demande alors à chacun des membres de la cour de se prononcer. Ceci permet de voir où se positionne chacun des membres de la cour. Ce stratagème recommande d’agir de manière limitée, mais néanmoins brusque et déterminée alors que l’action future est encore en sommeil. Il en résulte une manifestation avant terme d’intentions et de dispositions non matures et de ce fait vulnérable. Un autre exemple : sur le terrain politique, les décideurs laissent fuiter des idées afin de savoir quelle sera la réaction de la population. Ils choisissent ensuite d’épouser ou de réfuter cette idée. Une variante de ce stratagème recommande de punir très lourdement une entorse mineure à un règlement car cela dissuade de commettre des fautes autrement plus importantes. On agit ainsi avec économie : En tuant une poule pour effrayer un singe, on réalise ses fins à moindre coût et indirectement. ### Le potentiel du passé. _Ce qui ne sert plus implore qu’on l’utilise._ Ce que tout le monde recherche est coûteux, il fait l’objet de compétition et le ticket d’entrée est élevé. A l’inverse, ce qui est faible ou qui a cessé d’exister se révèle disponible et au besoin importe qu’on lui donne une nouvelle existence. Fondé sur la conviction que la vie n’est qu’un éternel recommencement, ce stratagème recommande d’user de la charge émotionnelle de ce qui a fonctionné par le passé. Par exemple, en situation difficile, Staline a réhabiliter la Sainte Mère Russie et a ainsi capitaliser sur l’énergie de l’histoire russe en devenant le petit père des peuples. Les faibles ont besoin d’aide et, qu’à ce titre, ils se prêtent aisément, voire par nécessité, aux projets qui leur donnent des perspectives. L’alliance des faibles est moins coûteuse et surtout moins risquée que celle des puissants. ### La victoire par la situation. _Le général ne demande pas la victoire à ses soldats mais à la situation._ Pour espérer venir à bout d’un ennemi puissant, il convient tout d’abord de le déconcerter, de l’isoler puis de le conduire sur un terrain favorable. Force et faiblesse ne dépendant pas de la nature des combattants mais de la situation dans laquelle ils se trouvent. La force du tigre des montages ne résultent pas seulement de son énergie, de ses griffes et de sa souplesse mais de l’adéquation de tous ces atouts avec un terrain fait de bosses, de creux, de feuillages qui magnifient sa surprise et l’exercice de puissance. Les humains n’ont aucune chance face à lui dans ces bois mais si nous l'amenons sur une plaine, là, l’homme pourra le fatiguer, le traquer, le harceler et le cerner sans soucis. Contre un adversaire concentré, il faut le disperser en l’attirant sur un terrain qui dilue sa force. ### Lâcher pour saisir. _Duper en se servant du propre mode de penser de l'adversaire afin qu'il devienne alors l'otage de sa propre illusion._ Alexandre le grand assiégeait une cité depuis de longues semaines et malgré un encerclement hermétique, les assiégés faisaient preuve d'un courage et d'une détermination exemplaire. Feignant la lassitude, mais tout en maintenant sa pression sous les remparts, Alexandre allège progressivement la voie sud qui permet aux assiégés de se ravitailler sans pour autant empêcher la famine. Peu à peu, ces derniers en arrivent à considérer la possibilité d'une nouvelle alternative : la fuite. Après plusieurs jours, ils courent tous pour s'échapper durant une nuit sans lune. Et ils tombent dans une embuscade où ils périssent tous. La pression frontale et directe constitue souvent le meilleur des points d'appui à une résistance farouche. Qui se voit acculé jette toutes ses forces dans la balance en un sursaut ultime, ne serait-ce que pour l'honneur. S'il existe une issue, l'envisager comme possibilité entame déjà sa détermination. Plutôt que d'acculer une proie dangereuse et de la contraindre ainsi à un geste désespéré, il est plus astucieux de lui laisser une sortie par laquelle elle s'engouffre pensant sauver sa peau alors qu'un piège mortel l'y attend. En aidant une proie à trouver une solution à première vue avantageuse, sa vigilance s'évanouit et elle met bientôt toute son énergie à se sauver. En aménageant les conditions de réalisation de son vœu le plus cher (survivre), on s'en fait une allée paradoxale dans la conduite de l'interaction. Un peu de patience assure le succès. La stratégie doit demeurer inféodée à la fin, il faut donc savoir parfois perdre localement pour gagner globalement. ### Du plomb pour de l'or. _Payer en banalités des idées brillantes._ Par définition, celui qui possède se méfie de ceux qui sont en mesure de convoiter ce qui lui est propre. Il se garde et se préserve dans une attitude méfiante, défensive. Ce comportement est comme un rempart qu'il faut rendre mou, tendre et poreux par un travail d'approche non identifiable comme tel. Le moyen consiste à mettre l'autre dans des dispositions telles que sa résistance diminue et que l'on puisse le prendre par surprise. C'est l'histoire du corbeau et du renard. Pour manœuvrer l'ennemi, il faut commencer par vous faire manœuvrer vous même. L'important étant de maîtriser le cours des événements. Dans la culture stratégique chinoise, cette pratique se nomme : modeler l'esprit de l'autre par la création d'une situation de connivence où l'on donne le ton par des dons. ### Le poisson pourrit par la tête. _Le sage montre la lune, le fou regarde le doigt._ Dans toute question stratégique, il existe un centre de gravité qui, en l'absence de laquelle, l'ensemble des dispositions et des résistances adverses s'effondrent. La meilleure approche stratégique consiste à viser l'esprit de son adversaire. **Sun Tzu recommandait toujours de privilégier dans l'ordre : l'esprit du général adverse, ensuite sa stratégie, ses plans, ses alliances, ses dispositions et seulement, en dernier recours ses troupes et ses places fortes**. Sur un registre dissuasif, en parvenant en convaincre un acteur de l'impossibilité de réaliser son intention ou son projet, on évite de confronter à ses moyens et à ses dispositions offensives. Par exemple, dans les guerres modernes, on frappe les moyens de communication en premier lieu. Un autre exemple, pendant la guerre froide, les russes se concentraient en premier lieu à manipuler les élites européennes car elles avaient un effet démultiplicateur. Il faut s'attaquer aux intentions, au cœur des projets. Saisir l'essence des fins qui se trouvent derrière une stratégie rend aussi possible la composition de cette stratégie, son orientation dans un cadre d'ensemble dans lequel on va la faire travailler à ses dessins. ## Stratagèmes de la dernière extrémité. ### Travailler en montagne. _Retirer les branches sous la marmite._ Ce stratagème élémentaire reprend l'idée de viser l'esprit adverse, réduire ce qui enfante ses intentions et sa stratégie plutôt que ses dispositions, ses troupes ou, pire encore, ses places fortes. Pour retirer le liquide brûlant d'une marmite, rajouter de l'eau glacée n'a qu'un effet temporaire et s'en prendre au feu est dangereux. Mieux vaut retirer les bûches, supprimer l'approvisionnement ou détruire la forêt. Ce stratagème conseille de ne pas réagir et surtout de ne pas se régler sur les termes d'une pression imposée par un tiers mais de quitter la ligne de l'opposition frontale au profit d'un contre indirect au fondement de celle-ci. En se dérobant à une confrontation ouverte, l'incursion derrière le rideau des apparences suppose de se tenir à distance de l'eau bouillante et de développer l'intelligence des fondements de l'agression. ## Enrôler la force adverse. _En l'absence de troupes, utilise celles de ton ennemi._ Lorsque la fin est proche, il est essentiel d'user d'un moyen extraordinaire pour se sauver. Lorsque l'inégalité des forces conventionnelles est plus que criante, il faut user du paradoxe afin de plonger l'autre dans la perplexité et l'y maintenir jusqu'à ce qu'il renonce. La surprise produit un temps d'arrêt, puis l'usage des moyens adverses rendus aveugles par l'étonnement retourne la situation. Lorsque l'on est dépourvu de ressources, il faut se servir de celles des autres et jusqu'à celles de son propre adversaire. Les politiques savent que plus la ficelle est grosse, plus elle passe car les gens pensent qu'ils ne peuvent pas autant mentir. De plus, les gens ont besoin de croire. ## Rendre l'inutile indispensable. _La meilleure défense est l'attaque._ L'exemple est celui d'un homme puissant qui invite chez lui un de ses amis à la rue. Cet ami se refait une santé, se rapproche de la femme de l'hôte et petit à petit, prend appui dans la famille et obtient les reines de la sociétés que la femme contrôlait en partie. Ce stratagème se décomposé en six étapes successives : - Se faire inviter - Développer l'intelligence de la situation - Saisir les opportunités qui se présentent - Avoir son mot à dire - Assurer son pouvoir par le contrôle des opérations - Pour finir par prendre la place de l'hôte. C'est au plus près de la force que grandissent les germes de la faiblesse. ## La faveur fatale. _Céder ce que l’on a déjà perdu._ Le parti du président en exercice a perdu les élections et le chef de la nouvelle majorité, fort de sa légitimité, vient lui soumettre sa liste de membres pour le prochain gouvernement. Celui qui doit devenir premier ministre sait que le président est un politique redoutable, et c’est avec une volonté de fer qu’il se prépare à défendre ses choix. Contre toute attente, la prise de contact, courtoise, est sans froideur. Le chef de la nouvelle diplomatie obtient un succès sur toutes ses demandes. La perspective de l’affrontement disparaît et dans ce climat de d’entente cordiale, le président sollicite alors quelques nominations qui sont difficilement réfutables au regard de la relation constructive qui s’établit. Dans une situation désespérée, rassembler ses dernières forces en vue d’un affrontement héroïque sert la cause du vainqueur. Il est plus astucieux d’offrir au dominant de parvenir à ses fins en plein éclat dans des circonstances qui finiront par l'enchaîner, par consommer sa puissance et en dériver le cours. En anticipant les effets d’une défaite avant qu’elle soit pleinement consommée, le stratège induit le conquérant le sentiment d’un gain de temps. ## La déception paradoxale. _Lorsque le roi est nu, parader est le seul atout qui lui reste._ Zhuge Liang, expert en ruses, sait que son ennemi mortel Sima Yi arrive aux abords de la cité et que le déséquilibre des forces est criant. Alors que la défaite s’annonce, Zhuge Liang paisible et en habits de soie, se fait porter un luth et une tour bien dégagée des fortifications et ordonne à chacun de vaquer à ses occupations comme si de rien n’était. Confiant dans la victoire, Sima Yi apprend que son adversaire est concentré sur les pièces musicales et que les habitants de la ville vivent tout à fait normalement sans aucunespeur. Du coup, Sima, par prudence, ordonne l’arrêt. Le doute saisit les troupes habituées à profiter de l’effroi et de la panique pour s’engager dans des attaques. Le doute paralyse le mouvement tant ce qui est observable est contraire à la logique. Le stratagème de la déception paradoxale consiste à se montrer plus faible que la réalité. Dans l’incapacité de concevoir un plan d’action classique crédible, cette option dispose l’adversaire de telle sorte qu’il conçoive et accrédite lui-même l’existence d’un piège pour combler et donner forme au vide effrayant qu’il rencontre. L’attaquant se sent contraint de chercher et d’imaginer ce qu’il ne perçoit pas. Confronté à des signes paradoxaux, l’adversaire subodore un piège, une manœuvre et se heurte à la question impossible du comment soumettre ce qui n’est ni discerné, ni estimable. Le plus machiavélique dans ce stratagème est que la définition de la nature, de la mesure et des formes du danger incombe à l’agresseur lui-même.